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L’éducation en Haïti: Rendez à César ce qui lui appartient!

 

Itazienne Eugène et Maciel Morales Aceitón 

La force et la résistance du peuple haïtien ont des bases historiques, car depuis son indépendance (1804), il a dû supporter non seulement des catastrophes naturelles, mais aussi des périodes récurrentes d’instabilité politique ponctuées quelquefois par des interventions étrangères. La constitution actuelle date de 1987 mais elle a été souvent mise à l’épreuve à plusieurs reprises, notamment par deux coups d’État en 1991 et 2004, ainsi que  par les tenants du système politique qui, par leurs actes, affichent leur indifférence pour le reste de la population. 

Les dernières années ont été particulièrement difficiles dans le pays en raison des mouvements sociaux et de la pandémie de COVID-19 (Stone et Ziegles 2021, Défis et opportunités dans le système éducatif en Haïti).  Il faut se rappeler que depuis 2018, le mouvement social « Peyi lòk » existe en Haïti et il s’est renforcé après que le président Jovenel Moïse ait annoncé une augmentation du prix de l’essence, du diesel et de la paraffine. En réaction, une partie de la population a gagné les rues pour protester contre cette mesure. En septembre 2019, le « Peyi lòk » est revenu en force, les manifestants ont demandé la démission du président mais celui-ci a refusé et est resté au pouvoir (Danticat, 2019 ; Danticat, 2020). Actuellement, le pays connaît à nouveau une crise majeure due à l’assassinat du président Moïse, le 7 juillet 2021, et au tremblement de terre qui a frappé le Sud du pays, le 17 août de cette année. Sous ces circonstances on se demande: Comment l’éducation peut-elle être une priorité pour l’État ? De quelle manière, le contexte sociopolitique, environnemental et économique affecte-t-il concrètement son développement ? Quels sont les défis les plus urgents pour l’éducation haïtienne aujourd’hui ?

Le système éducatif haïtien est divisé en deux grands ensembles : le public et le non public. Celui-ci comprend les écoles privées, confessionnelles, communautaires, etc. La prolifération des écoles qui ne respectent pas les normes de fonctionnement du Ministère de l’Éducation entrave le travail des professionnels qui veulent offrir aux jeunes pousses une formation de qualité, et ce depuis la fin du siècle dernier. Il importe de souligner que dans ce pays marqué par un fort taux d’analphabétisme, il existe une disparité criante entre les écoles qui accueillent les rejetons des élites et celles que fréquentent les enfants des autres catégories sociales. Contrairement aux premiers, les seconds sont reçus en général dans des bâtiments qui ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire capable de garantir leur plein épanouissement. Il arrive ainsi que, dans certaines régions, des cours sont organisés dans des églises, dans des maisons et même en plein air. 

Le niveau d’inscription dans le secteur privé est l’un des plus élevés de la région. En 2015-2016 sur le nombre total d’élèves inscrits, 78 % appartenaient au secteur privé (MENFP, 2018).  Stone et Ziegles (2021) indiquent que, outre la forte privatisation, les problèmes les plus actuels de l’éducation dans le pays sont liés au manque de ressources et d’infrastructures, aux faiblesses du développement professionnel des enseignants et au conflit linguistique (créole/français), entre autres. Bayard Lapommeray, un représentant du ministère de l’Éducation dans la table ronde sur le système éducatif en Haïti, (projet SUMMAKIX LAC 2021) , confirme les conclusions des chercheuses. Il partage le point de vue selon lequel la formation des enseignants, les infrastructures et le soutien pédagogique sont des domaines importants à améliorer et à développer, mais soutient qu’au-delà de ces facteurs, il y a un problème d’environnement : l’environnement politique, économique et social du pays. M. Lapommeray explique qu’il est essentiel d’améliorer ces facteurs socio-politiques afin d’avoir un système éducatif qui puisse répondre aux besoins du pays. Il faut souligner que l’instabilité sociale, politique, environnementale et économique touche les élèves et les  étudiants  au quotidien. Dans les moments  de troubles, les plus jeunes restent coincés à la maison. Dans les moments d’accalmie, les élèves se retrouvent dans l’impossibilité de participer à des activités qui se déroulent en dehors des heures de cours. La situation est la même pour les étudiants qui, non seulement ont du mal à accéder aux salles de cours, se retrouvent dans l’impossibilité de fréquenter les centres de recherche et les bibliothèques. En conséquence,  la durée de la formation est réduite, la durée du cours en général est allongée et certains projets, notamment les voyages d’étude, sont mis en attente jusqu’à nouvel ordre.  

En réfléchissant à la question de savoir comment l’éducation peut être une priorité pour l’État dans un pays traversant diverses crises sociales, politiques, environnementales et sociales, nous partons du principe que c’est précisément pour ces raisons que l’éducation doit être au premier plan de l’agenda politique de l’État. Les autorités compétentes devraient mettre à la disposition du Ministère de l’Éducation les ressources (humaines et matérielles) indispensables à son fonctionnement. En contrepartie, les responsables du ministère doivent assurer une utilisation optimale des ressources qui leur sont allouées et obtenir les résultats attendus par la société haïtienne.  Il est également essentiel, pour répondre aux besoins actuels d’Haïti en matière d’éducation, de renforcer le secteur public. Le pays a besoin d’investissements importants dans la construction d’infrastructures scolaires, la rénovation des bâtiments existants, la formation des maîtres et la mise en place de structures dynamiques innovantes capables de réguler le système éducatif. 

En outre, le système éducatif actuel doit améliorer concrètement et à court terme ses systèmes d’évaluation et de suivi des projets afin de pouvoir comprendre leur efficacité ou l’échec. Il est important de mentionner que les projets antérieurement conçus pour améliorer le système, et ce, depuis la fin de la dictature des Duvalier (1957-1971) n’ont pas toujours eu les résultats escomptés. Pour changer la donne, on doit tenir compte de l’évolution des conditions socio-politiques du moment certes mais il faudra surtout analyser les causes de l’échec des programmes ou projets précédents, évaluer les structures de mise en œuvre desdits projets et la nature des ressources disponibles dans les espaces d’enseignement. 

Tout compte fait, il est essentiel de comprendre et de tenir compte des problèmes structurels du système afin de rendre à César ce qui lui appartient. Les autorités compétentes devraient travailler ardemment au renforcement et à l’amélioration de ses fondements, étant entendu qu’elles doivent fournir à la population un enseignement public complet, intégral et adapté à la réalité du pays.  

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